L'horloge émit un petit cri de rossignol. Déjà minuit, pensa Joreli, un sourire au coin des lèvres. Le commandant ne pensait pas qu'ils avaient veillés si tard : les lampes éclairaient jour et nuit le vaisseau plongé depuis si longtemps dans le noir sidéral.

«Nouvelle journée. Tout va bien à bord. Pressurisation OK. Vitesse stationnaire. »

L'équipage pouffa à la pitrerie d'Everan Winston singeant d'une voix nasillarde le message désormais habituel délivré par l'ordinateur de bord qui venait de s'allumer. Nicky ajouta une barre à la craie sur la paroi de la salle tandis que le processeur les informaient de leur position, à l'est de Beltegeuse.

«Déjà 213 jours !» annonça-t-il d'une voix de stentor desesperé, avant d'aller se laisser tomber sur la banquette. Il poussa un soupir en parcourant la table des yeux.
«Alors on se la fait cette belote ?»

Son voisin de droite se leva.

«Sans moi, je vais me faire une scéance.......je n'ai pas encore faite celle d'aujourd'hui.....enfin....d'hier»

Impressionné, Nicky émit un sifflement d'admiration. Everan partit d'un joyeux éclat de rire.

«Ben dis donc, on peut dire que t'as du courage. Et à cette heure en plus ! Comment t'arrives à te concentrer sur ces foutus bouquins, reprit-il en fouillant sa sacoche, en plein milieu de la nuit, alors que je serais capable de m'endormir dessus à deux heure de l'après-midi ?»

Il sorti de son sac une liasse de manuel et les lui tendit avec le sourire.

«T'es vraiment un type pas croyable. Tu les veux peut-être en double ?»

L'homme esquissa un sourire et gratifia son compagnon d'une tappe amicale.

«Amusez-vous bien, tous les trois»

Il attrapa sa sacoche au passage et sortit de la salle commune.


Everan secoua lentement la tête, dubitatif.

«Sacré Goran»

Joreli, qui, la main sur la bouche, riait sous cape depuis le début de la scène, le réprimenda gentillement.

«Cela suffit, petit Everan»

Lui addressant un sourire taquin, il reprit, le sourire aux lèvres :

« A chacun ses goûts. Douterais-tu que Nicky soit partant pour une belote à toute heure de la nuit ? Et bien pour Goran c'est pareil, sauf que son truc c'est les livres.......c'est tout. Même si ses goûts peuvent vous paraître étranges.»

Le commandant, satisfait de son intervention, s'étira un instant et allongea ses jambes. Voyant la mine renfrognée de ses deux soldats, il fit la moue.

«Me dites quand même pas que j'ai plombé l'ambiance ? Everan, range ton tas de papier que Nicky puisse distribuer les cartes»

Tandis que les sourires revenaient, Joreli alluma la « boîte à musique » du vaisseau depuis la télécommande integrée à la table, et attrapa du bout des doigts la bouteille de cet infect whisky non-alcoolisé réglementaire qui trônait sur le bar voisin.


«Quelqu'un en veut ? On a une nuit à occuper.»


Il était presque quantre heure quand le forfait pour cause de fatigue d'Everan et le manque de joueurs consécutif eurent raison de Nicky et son jeu de carte. Les traits tirés, tous deux sont retournés dans leurs cabines pour s'allonger quelques heures dans leur couchette, après avoir salué leur commandant. Grâce aux encéphaloscopes à ondes integrés, cela leur suffirait largement pour récuperer. Quand à Goran, il n'était pas réapparu, mais cela n'inquietait nullement Joreli : de eux quatre, Goran était de loin celui qui restait le plus isolé, non seulement pour dormir mais aussi pour lire ou étudier.

Le commandant se leva et s'étira en poussant un soupir de soulagement. Il commençait à traîner sa carcace, il le savait. Et, à quelques années de la retraite, le manque d'exercice n'arrangeait rien. Cependant, comment pourrait-il en être autrement, à quantre dans une pêtite navette comprenant en tout et pour tout 5 cabines, une salle commune, une salle de pilotage désormais inutile mais encombrée d'appareil divers, et une soute à l'accès condamné.
Joreli se rassit devant la vitre et contempla l'espace qui défilait lentement. Il vit son reflet dans la vitre et s'amusa à le détailler. Les cheveux grisonnants, la peau mate et calleuse se marquant des premières rides, les sourcils broussailleux mais fatigués, le regard bleu et encore ferme : il avait tout d'un militaire en fin de carrière. Alors pourquoi s'embarquer là-dedans ?

Joreli cligna des yeux : la fatigue commençait à le gagner. D'un ordre clair de la voix, il fit basculer l'éclairage naturel qui se transforma en une lumière bleue douce et tamisée. Pourquoi ? Cette question lui venait de plus en plus souvent, à mesure que l'ennui le gagnait et que cette mission devenait à ses yeux plus abérente. Pourtant, pensa-t-il, il n'y a rien de plus simple.

«Vous serez conduits à la base le matin du départ, commença-t-il à réciter, et vous embarquerez dans une navette TX modifiée avec trois hommes d'équipage et une cargaison à laquelle vous ne devrez pas toucher durant le voyage : la soute sera condamnée. Vous aurez juste assz de carburant pour prendre votre cap, puis vous attendrez de vous écraser quelquepart. La soute se déverrouillera et vous suivrez les instructions»

Très simple et sans aucun sens conclua le commandant dans un soupir. Sans parler de ces heures à passer dans cet appareil en lisant des lignes et des lignes de philosophie obscure...
Non loin du vaisseau, une météorite filait dans le ciel, laissant derrière elle un nuage incandescent qui illumina quelques instants le ciel étoilé. Laissant la salle en état, Joreli employa ses dernières forces à rejoindre sa cabine.

Joreli sursauta en entendant le fracas au dessus de sa tête. Affolé, il se depêtra maladroitement de sa couverture et se jeta contre plus qu'il n'ouvrit la porte donnant de sa cabine vers le corps commun.

«Alerte ! Que se passe-t......que...qu'est-ce que...?»

Le commandant resta figé, hagard, tandis que son regard faisait la navette entre Everan un torchon à la main et un carton en bas de l'esclalier menant aux cabines de l'étage. Celui-ci lui renvoya un regard interrogateur et amusé à la fois.

«On est mal tombé du lit capitaine ? Vous nous avez fait peur»

Sur ces paroles, il éclata de rire avant de se reprendre. Moi de même, maugréa tout bas Joreli

«Je viens de me mettre à la vaisselle d'hier soir, j'aurai bientôt fini» ajouta Everan tout en essuyant un verre avec entrain.

«Bien, bien», eructa Joreli d'une voix pâteuse.

Il se frotta les yeux et désigna du pouce sa cabine.

«Je.....j'arrive.....le temps de faire ma toilette....»

avant d'y entrer précipitement en fermant la porte derrière lui. Encore endormi, il s'accouda au lavabo et se dévisaga dans le miroir. Mon Dieu, pensa-t-il avec un petit sourire d'autodérision, j'ai une mine affreuse. Après avoir compté jusqu'à trois pour se donner du courage, il plongea sa tête dans l'eau foide.

Une dizaine de minutes plus tard, le commandant sortit de sa cabine propre comme un sous neuf et frais comme un gardon.......ou presque.

«Vous avez des yeux de deterré, de mort-vivant voire des deux à la fois, commandant, l'interpella Everan avec le sourire qui le caractérise, mi-paternel mi-moqueur. Vous avez si peu dormi que ça ?»

«Vous ne devriez pas vous passer de votre encéphaloscope, commandant, si vous me le permettez. Et bien le bonjour»

Joreli ne chercha même pas Goran des yeux.

«Bonjour à toi aussi, Goran, qui occupe je suppose la cabine de pilotage, pour changer. Tu sais très bien que je n'aime pas ces machines...»

Sur ce, il s'affala sur une banquette et porta à ses lèvres le chocolat chaud que lui avait préparé Everan, avant de le reposer. Trop chaud.

«Tu sais que tu es le roi du micro-onde toi ? Tu l'as encore mis trop longtemps !»

«Mais au moins je ne m'amuse pas à courir dans les couloirs en pygama, à beugler : Alerte, alerte !!»

Les deux hommes, ainsi que Goran, éclatèrent de rire. Soudain, le commandant s'interompit, les sourcils fronçés.

«A ce propos, il me semble que......»

Le bruit d'un seconde carton s'écrasant sur le premier lui rappela oportunement quelle question était restée en suspend dans son esprit depuis son réveil.

«C'est quoi ça ?!!»

******


« Non, non et non, Nicky. Vous tous autant que vous êtes avez le droit de ranger votre cabine, de ranger des choses dans des cartons, et de n'y mettre que ce dont vous voudriez bien vous debarasser un jour. Mais il est hors de question que ce vaisseau ou l'espace fasse office de poubelle. Alors remonte-moi ton bric à brac dans ta cabine, et vite. En plus ça gêne le passage. »

« Mais, commandant, il n'y a personne dans l'espace ici, et..... »

Le ton de Joreli se fit plus sec

« Soldat Toulak, c'est un ordre ! Execution ! »

Nicky s'executa en marmonant, et avec une mauvaise volonté évidente, mais le commandant le laissa maugreer sans le reprendre. Il se détendit un peu sur son siège et regarda Nicky s'éloigner quelques instants avant de fermer les yeux. Il ne lui en voulait pas. Son équipage était constitué de bons soldats, qu'il commençait à prendre en affection. Un équipage idéal pour une mission hors norme......il ne lui en fallait pas moins. Joreli se prit à sourire en pensant à ses hommes : lui-même n'aurait pas survecu jusqu'ici sans leur personnalité un peu déjantée, mais tellement appréciable dans les moments d'isolement.

Everan est soldat depuis plus de dix ans sous ses ordres directs ou non, et l'a toujours fait rire. Bout-en-train de la caserne, au caractère joyeux et indolent, il a rapidement attiré la sympathie de ses camarades comme la méfiance de ses supérieurs, qui le taxaient de mou. Pourtant, sous sa carapace d'humour et de négligence calculée, Joreli a toujours trouvé en lui un homme capable et dévoué......et blessé aussi. Ce n'est qu'il y a quelques années, le jour où il lui a tenu compagnie dans un bar isolé loin de la caserne dont il n'a pas bougé de la journée, qu'il a réellement compris à quel point Everan avait besoin de ce caractère comme d'un long manteau, pour encaisser les chocs et masquer ses problèmes. Le commandant se mordit la lèvre : il s'était promis depuis ce jour d'essayer d'en savoir plus pour pouvoir lui servir de soutien et de confident si necessaire. Mais cette promesse était restée lettre morte.
Il esperait secretement que Nicky, qui passait de plus en plus de temps avec Everan, endosserait un jour ce rôle si lui-même n'en avait pas le courage. Mais Nicky, s'interesser à autre chose qu'aux cartes...

Joreli haussa les épaules : il ignorait presque tout de ce jeune soldat à ses débuts discret et ténébreux, si ce n'est sa passion pour la belote. Son parcours scolaire, de recrutement et de formation militaire, lui promettait un avenir brillant. Il avait bien sûr eu quelques apréhensions quand à l'intégration de cette nouvelle recrue du régiment à bord, mais elle avait réussie au-delà des esperences. Nicky Toulak est bien vite devenu plus qu'un soldat à ses yeux.

Mine de rien, on s'entend bien tous les trois, pensa Joreli, un sourire ironique au coin des lèvres. Ca se voit qu'on est du troisième régiment autoporté...

« Le meilleur !!! » ajouta Everan d'un air fanfaron. « Alors capitaine, on se remémore ses soirées de soldat ? »

Joreli fit un bon sur son siège, non seulement surpris par sa présence, mais aussi embarassé d'avoir été surpris à penser tout haut. Cachant son trouble par quelques toussotements, il prit quelques instants pour reprendre contenance avant de faire pivoter son siège vers le seuil de la pièce.

******


En cette année 2377, il devenait évident aux yeux même de la communauté scientifique indépendante que la forme actuelle d'humanité était vouée à la disparition. Ainsi, le professeur Golringer, sommité de l'institut psychiatrique de la capitale, qualifiat en ces termes, dans une lettre au Gouverneur Général, l'humanité comme "une parodie de société à l'âme et aux aspirations pourries et faussées en profondeur de façon quasi-irreversible, et ne pouvant avoir comme seul avenir que la mort, de préférence violente".
Ces propos avaient paru un peu alarmistes jusqu'à l'avénement du Grand Conflit.
La dictature non-déclarée qui succeda à cette boucherie, au moment d'enterrer ses morts, dont le nombre incalculable annihilait en lui-même toute joie éventuelle de la victoire, dû bien admettre que les projections les plus pessimistes sur l'avenir de l'humanité étaient fondées, ou du moins envisageables.

Ainsi, le nouveau Gouverneur reçut en 2389 le nouveau président d'honneur des scientifiques indépendants. Quelques jours plus tard, un traité de collaboration entre chercheurs indépendants et gouvernementaux fut signer.
Bien que cela ait échappé à bon nombre d'observateur, le secret ayant été bien gardé, cet accord était bien plus qu'une posture de principe, car les scientifques independants n'étaient pas venus les mains vides. Le 3 juin 2390 sonna le coup d'envoi du projet "Arkania".


« Entre.....tu aurais pu être un peu moins discret, tu m'as fait peur »

Everan s'avança vers le milieu de la pièce, l'air hésitant. Le commandant, un peu surpris de son attitude, l'observait en haussant le sourcil, l'air interrogateur.

« Je peux faire quelquechose pour toi ? »

« Euh oui.....en fait ce n'es pas vraiment pour moi....c'est au sujet de Goran, on s'inquiète un peu.... »

Everan leva les yeux, attendant une intervention de son capitaine. Devant le silence de celui-ci, il prit quelques secondes pour rassembler ses idées avant de reprendre :

« C'est vraiment un type étrange, il passe presque tout son temps enfermé dans sa cabine à lire ses bouquins scientifiques philosophiques, ou à bricoler dans la cabine. On n'a même plus le droit d'y rentrer tellement son truc est top secret. Il participe rarement à nos soirées, et on l'a jamais vu aller de lui-même vers les autres ou se départir de son air un peu morose. En plus, on ne sait même pas ce qu'il fout sur ce vaisseau, et..... »
« Everan, Everan....pourquoi se poser toutes ces questions ? Vous paniquez pour un rien, Nick et toi. »

Joreli se leva et s'addossa à la verrière.

« Goran n'a rien d'anormal. Il est simplement attaché à retenter cette école d'ingénieur une fois rentrés chez nous, même si il y a déjà échoué, et passionné de mécanique. En plus n'oublie pas qu'il a un niveau d'études supérieures, que nous-même n'avons pas. Alors il s'occupe dans son coin en bricolant, en lisant ou en étudiant. Il n'y a rien de bien effrayant à voir dans cette histoire. Je ne sais pas pourquoi il a été intégré à cette mission comme mécano, surtout pour une mission moteurs éteinds. Mais je sais que c'est quelqu'un de bien. »

Son discours terminé, le commandant se détourna vivement de son soldat, cherchant à travers la vitre une étoile à laquelle se racrocher. Il ne pouvait rien dire, il avait promis de ne rien dire. Il ne dirait rien. Everan fixa le plancher quelques instants, pensif. Il n'y avait plus rien à ajouter.

« Oui, vous devez avoir raison....... »

Il releva le tête en affichant un pâle sourire.

« Merci, capitaine »

C'est cela, sors d'ici, vite... pensa Joreli en le regardant s'éloigner. Ne te retourne pas.
Pourtant, Everan fit volte-face sur le seuil.

« On l'appelle tout le temps Goran, mais il doit bien avoir un non et un prénom, non ? »

« Appelez-le simplement Goran....Tu peux disposer. »

Conscient d'avoir été invité à partir, Everan quitta la salle et remonta à l'étage. Joreli attendit d'entendre le bruit de sa porte se refermant pour donner un violent et douloureux coup de poing dans le mur. Il détestait mentir à ses hommes, mais que faire ? Il ne pouvait pas parler, il le voulait et ne le voulait pas à la fois. Et Goran dans tout ça ? Bon dieu, je leur avait bien dit que c'était une mauvaise idée.

Il rentra dans sa cabine, s'allongea sur sa couchette et enclencha l'encephaloscope à ondes. Il s'endormit rapidement.

Quelques nuits passées sous encephaloscope avaient suffi à Joreli pour retrouver sa forme. Il avait bien dû accepter la dure réalité, au bout de quatres nuits passées « normalement » : il était devenu quansiment incapable de dormir sans cet appareil. Malgré la méfiance que lui inspirait l'engin, son utilisation quotidienne pendant toutes ces années de militaire avait fait son oeuvre.

La craie crissa contre la paroi.

« 328eme jours et rien de neuf » déclama Nicky avant de considérer la multitude de traits devant lui.

Il se gratta le menton, pensif, avant de se retourner vers le reste de l'équipage attablé.

« On va bientôt devoir utiliser un troisième mur, j'ai presque plus de place sur celui-là. Vous en pensez quoi ? »

« J'en pense que tu es d'un optimisme délirant, les quatres y suffiront pas » lui répondit Everan avant d'avaler une gorgée de whisky. « Maintenant reprit-il le sourire aux lèvres ça nous fait au moins une raison pour boire.....dire que je m'étais jamais autant lâché à l'armée. »

Joreli se leva de table et vida son verre cul-sec.

« Vu la distance qui nous sépare de notre planète natale, on n'est plus vraiment à l'armée ici.....ou du moins militaire à notre propre compte. Bon, cela dit, moi je vais prendre ma séance »

« A notre propre compte....oui, c'est cela murmura Everan d'une voix douce, en faisant tourner son verre sur la table. Faire quelquechose d'autre, de different......être des fondateurs......»

Le commandant fronça les sourcils :

« Tu deviens poète maintenant ? »

Everan secoua la tête négativement.

« Non commandant, et je n'ai jamais été porté sur tous ces trucs de voyance, prédictions, visions ou boules de cristal. Pour tout dire, j'ai toujours été materialiste....un peu trop peut-être »

Il se tourna vers son capitaine.

« Mais hier, je l'ai sentie, commandant, je l'ai presque vu....ce.....cette athmosphère qui flotte ici. Ouvrez votre esprit, elle est là....Cette mission n'est pas banale, elle a quelquechose....quelquechose de jamais vu »

Visiblement nerveux, Everan s'était levé et arpentait la salle de long en large. Joreli se tourna vers la vitre, les yeux dans le vague. Quelquechose de jamais vu....Cette phrase résonna quelques minutes dans sa tête. Pourquoi pas ? Peut-être l'avait-il senti en signant son contrat, qu'il trouverait ici l'aboutissement de sa carrière, de sa vie peut-être...Quelques instants, Joreli se prit à rêver qu'Everan ait eu une illumination, que ce qu'il a cru sentir existe vraiment.
Curieusement, c'est le silence qui ramena Joreli à la réalité. D'ordinaire joyeux et bon vivant, Nick échangeait avec Goran des regards interrogateurs. Manifestement, eux aussi s'interrogeaient sur les paroles d'Everan. Aurait-il vraiment touché une vérité ?

Ce silence devenant pesant, le commandant le rompit en reposant énergiquement son verre sur la table.

«J'y vais»

Il reprit sa sacoche sous le bras, traversa la salle et appuya sur la porte qui coulissa en silence. Une fois refermée derrière lui, Joreli s'arrêta de marcher quelques instants. Dans la pénombre, il regarda autour de lui en se détendant un maximum.
Rien dans le couloir de gauche. Rien dans celui de droite. Rien dans....un halo bleu, au fond du couloir devant lui. Qui s'amplifait. Comme si « quelquechose » approchait....

Il sentit un frisson lui parcourir l'échine, et secoua la tête comme pour mieux chasser l'image de son esprit. Il n'y avait rien d'autre qu'eux à bord de ce vaisseau, c'était impossible, il a dû rêver. D'un pas pressé, le commandant reprit sa marche vers le fond du vaisseau pour sa « séance de lecture sous contrôle cybernétique » journalière, comme ils appellaient ça.

Tout l'arrière du vaisseau avait été remanié pour cette mission, jusqu'aux lumières du couloir menant à la cabine du fond, volontairement rééquipé d'un éclairage insuffisant plongeant la zone dans la pénombre. Encore sous le choc de sa vision, Joreli accelera encore un peu le pas et arriva bien vite à la cabine proprement dite, bien qu'il n'y ait plus grand chose qui puisse justifier son nom. Du mobilier classique ne restait que le lit, et encore un lit raccourci et transformé en fauteuil de fortune. Tout autour, une accumulation capharnaumesque pour l'oeil non-averti d'appareils en tous genres, occupait dans ses moindres recoin le volume libre de la pièce.
Le capitaine, en atteignant le siège, fronça les sourcils. Un post-it avait été collé sur le dossier. Il le détacha vivement : c'était l'écriture de Goran.

Montez le curseur de gauche jusqu'à 4 et positionnez celui du milieu sur 5/13 ORT.

Goran ne devait transmettre ce type d'informations qu'à lui, et surtout pas à un autre membre d'équipage. Joreli, immobile, se plongea dans ses reflexions. Bon sang, comment a-t-il pu savoir que je serais le prochain ? Est-ce qu'il commence lui aussi à avoir des....intuitions ?
Constantant que, manifestement, les évenements à bord de ce vaisseau étaient doucement en train de lui échapper, Joreli renonça dans un soupir de lassitude, et concentra son attention sur le tableau de réglage.

«Et dire que ça fait presque un an que je tourne régulièrement ces boutons sans savoir pourquoi.....Bon, allez, à Dieu vat !»

D'une main ferme, il bougea un curseur, puis l'autre, avant de se reculer prudement en scrutant le bloc principal de l'appareil. Il vrombissait légèrement plus fort, et c'était tout. Ce qui ne fit rien pour arranger la perplexité du capitaine, qui s'extirpa de ses pensées en sentant le vaiseau tressauter brusquement et faiblement.
Encore un bout de rocher qui s'est écrasé contre le bouclier.......C'est le troisième aujourd'hui, je me demande si on n'approche pas d'un champs.

Une fois le calme revenu dans le vaisseau, Joreli s'assit dans le fauteuil, actionna la machine à l'aide du bouton bleu sur sa gauche, et sortit l'ouvrage qu'il était en train de lire.
La couverture avait quelque peu souffert, et les diverses traces de cambouis et de café rendaient certaines parties du titre « Discussions sur la conscience et l'inconscience » presque illisibles. Après s'être installé un peu plus confortablement en ajustant le coussin du dossier, le commandant ouvrit l'imposant volume au niveau du vieux marque-page corné qu'il utilisait, et reprit sa lecture.

Quand un bip discret marqua l'arrêt de la machine, programmée pour des scéances de deux heure, Joreli ne trouva ni la force ni la volonté de se lever. Il ferma les paupières.......et se sentit tomber dans un puit lumineux. Il se trouva entouré d'images qui défilaient à toute vitesse. Puis un flash lumineux. Aveuglant.

Et puis le froid...mordant.Le capitaine se trouvait dans un hall, aux piliers sombres. Son coeur ne fit qu'un bond. C'était le hall du bâtmient administratif de sa base, empli de ce rigorisme militaire.....et de ce froid, toujours. Frissonnant, il courut vers la sortie, de plus en plus vite. Il passait entre les piliers, les évitaient parfois par la gauche, parfois par la droite.
Je dois sortir.....vite.....vite......je dois.....
D'un seul coup, Joreli fut dehors. Il s'arrêta, l'air hagard. Le soleil brillait, il faisait chaud. Un beau jour d'été. Il faisait bon, tellement bon. Alors, il décida de marcher. Et il marcha 5, 10, 15 minutes. Il se sentait entouré, concerné par tous les détails, tous ces détails qui dégageaient tant de chaleur. Le chant des oiseaux, la foule dans la rue, la feuille qui vole au vent.......
Il était devant chez lui. Son fils, en train de jouer à la balancoire dans le jardin, l'aperçu, le visage rayonnant et souriant, et se précipita vers lui. Il le reçut dans ses bras, il avait pris du poid depuis la dernière fois......et quelques centimètres aussi.

« Tu vois.....il va bien et toi aussi. Désormais vous le savez tous les deux »

Joreli se réveilla en sursaut, le front en sueur. Il jetta des regards à gauche à droite, le coeur battant. Il l'avait entendue. Il l'avait vue. Et pourtant il n'y avait rien. Rien. Juste cette voix résonnant dans sa tête. Il la répéta plusieurs fois dans un murmure inaudible. Sa bouche était pâteuse, son corps dans un état second, comme.....suspendu. Comme si tout s'était arrêté.
Un violent mal de crâne ramena Joreli dans un état normal, mais peu brillant. Avec l'impression qu'un bélier était en train de défoncer sa boîte crânienne, il se traina dans sa cabine à travers le vaisseau endormi, et sombra immediatement dans un sommeil comateux.


******


« Chers compagnons, frères d'armes, membres d'équipage et j'en passe, ne croyez pas que je me permette ce discours sans raisons...... »

Joreli, posé devant son café, esquissa un pâle sourire. Il n'avait encore pas vu Goran si enthousiasme, et cela relevait presque de la prouesse au vu des regards vides et de l'attitude apathique de l'équipage au compet et uni par un même someil agité et des batteries à plat. Lui du moins avait l'air en forme, et sans avoir recours à du café sur-caféïné..

Il doit mijoter quelquechose trancha dans son esprit le commandant avec une pointe de curiosité.

Goran balaya du regard l'assemblée, sourire au lèvre, s'amusant presque du suspense qu'il tâchait d'entretenir autant que possible.

« Comme vous avez dû le constater, je bricole depuis le début du voyage dans la cabine, de façon assez confidentielle je dois le reconnaître......mais ceci uniquement dans le but de préserver la primeur de la révélation pour ce soir......c'est un peu quelquechose....disons, dédié à nous tous.....enfin, voilà... »

Goran, joignant le geste à la parole, retira le bout de tissu cachant l'objet, qui fut acceuilli par un silence ébahi. Joreli fut le premier, après quelques secondes, à se lever et se rapprocher de la table.

« La vache......je te savais pas un don pareil Goran. Il est plus vrai que nature. »

« Clair.....hallucinant »

« Un putain de boulot surtout......chapeau, moi je dis »

Les trois hommes étaient désormais autour de la table, à scruter l'oeuvre d'un Goran rayonnant. Everan fut le premier à oser prendre en main le modèle miniature de leur vaisseau sur lequel leur compagnon travaillait depuis plusieurs mois.....mais il ne put le garder que quelques instants. Goran le lui reprit des mains, un sourire triomphateur sur le visage :

« Et vous n'avez pas encore tout vu.... »

Après l'avoir reposé sur la table, il enclencha un petit interrupteur. Le vaisseau s'illumina dans un léger vrombissement et entra en lévitation pour atteindre une hauteur d'une vingtaine de centimètres de haut.

« J'ai pensé que ça ferait bien plus réaliste que de le laisser bêtement sur un socle.......tenez, capitaine, à vous l'honneur »

Joreli fixa le caillou que lui tendait Goran, sans comprendre.

« Mais qu'est-ce qui te prend ? T'es dingue ? »

« Lançez-le sur le vaisseau, capitaine »

Devant l'insistance de Goran, Joreli se força à prendre le caillou, sans comprendre pourquoi Goran voulait estropier son oeuvre...et le lança bien plus fort qu'il n l'eut voulu.
Dans un éclair coloré, le projectile se désintegra à quelques centimètres de la coque. Un silence quasi-religieux tomba instantanement sur la pièce.

Le capitaine mit quelques instant à articuler péniblement :

« Me dis pas.....tu n'as quand même pas reproduit.....reproduit le bouclier anti-météorites ??! »

C'était une question réthorique auquel Goran ne se fatigua pas à répondre. Les yeux de ses compagnons s'équarquillèrent au fur et à mesure que l'évidence s'imposait à eux : il avaient devant eux non pas un simple modèle réduit, mais une véritable prouesse technologique. Tout avait été reproduit à la perfection dans la fonctionnalité du vaisseau.

Une nouvelle secousse, cette fois-ci suivie de près d'un signal sonore strident, alerta les soldats. Nicky fit la grimace :

« Ca devait arriver, on en prenait de plus en plus ces derniers temps. On va même pas pouvoir fêter l'évenement......Moi je retourne dans ma cabine »

Il addressa un clin d'oeil à Goran avant de sortir de la salle en marchant aussi droit que possible, alors que les trépidations augmentaient.

« Garde ton engin bien à l'abri, que tout le monde puisse t'acclamer quand on rentrera. »

Mais cette précision était inutile, Goran, s'était déjà empressé de le ranger dans une boite en carton moltonnée. Everan s'étant lui aussi retiré dans ses quartiers, il éteignit la lumière de la pièce et rejoignit Joreli, qui s'était déjà installé dans le poste de pilotage pour profiter du spectacle. C'était en effet de cette partie, située à l'avant du vaisseau conique, et qui plus est uniquement en verre, que le champs de vision sur le vide environnant était le plus large. On pouvait presque avoir l'impression de flotter dans l'espace.

Il jeta un coup d'oeil sur l'écran de contrôle : le champs de météorite devenait de plus en plus dense. L'une d'elle s'écrasa contre le bouclier plein centre, dégageant un gerbe de poussières multicolores.
Goran se tourna vers son capitaine, lui aussi visiblement sous le charme.

« Vous aussi vous aimez ça ? Moi j'adore, depuis tout petit je vais m'accrocher aux fenêtres dès qu'on en percute. »

Joreli lui rendit un sourire connivant.

« Et tu as bien raison, Goran. Les couleurs sont sublimes je trouve......ca a quelquechose de presque magique. Je n'ai pas encore trouvé sur Terre quelquechose qui ne serait-ce que s'en approche »

Le vaisseau se trouvait maintenant dans la zone la plus dense, et sa trajectoire était devenue plus digne d'un grand huit que d'un voyage spatial. Pendant de longues heures, les deux hommes restèrent assis immobiles, profitant à s'en délecter du véritable feux d'artifice au-dehors.

******


Note 5341 relative au compte-rendu de l'experience de sentimentalisation de la matière.
Professeur Svoran Crumalwe

J'étais le preier à qualifier cet espoir d'utopiste, mais sans avoir eu conscience des progrès accomplis par les bio-philosophes depuis leur apparition.
Dire que nous sommes arrivés à maîtriser et à donner à volonté un outil si complexe et puissant, alors qu'il était même non-fondé et qu'il l'est encore. Arriver ainsi à créer ce que nous avons rêvés. Tout ceci a quelquechose d'effrayant.
Nous tous nous réjouissons de nos succès, mais il n'y en a pas un qui n'ait à chaque seconde les traits empreints de l'effort à porter la conscience de notre responsabilité et de notre effroi.

Pour la première fois l'inférieur a réussi à reproduire, à créer artificiellement son supérieur. Nous somes en quelque sorte les cobayes des sentiments que cela inspire......

Joreli jetta machinalement un regard sur le tableau de bord : le vaisseau venait de dépasser la dernière planète du système géant qu'il traversaient depuis trois jours........Et une semaine les séparaient du prochain amas significatif de planètes détécté par les radars longue portée.
Pas grand chose comparé à ce qu'on a déjà attendu pensa-t-il amèrement. Et dire que j'ai plus que ça pour me consoler.......

L'horloge sonna cinq heure au son de la bernache hupée et le commandant se retourna vers la porte, debout, les mains dans le dos : une attitude sérieuse qui paru, d'après son expression, choquer quelques peu Nick, arrivé dans la salle pile poil à l'heure et sans un mot. Contrairement à son habitude, Joreli se contenta d'entretenir le silence de plomb reignant dans la salle jusqu'à ce que Goran, puis enfin Everan, se soient eux aussi présentés.

« Je suis désolé de me comporter ainsi avec vous, qui êtes devenus plus des amis qu'autre chose.... »

Tout en parlant, Joreli scrutait le visage de ses soldats, un à un.

« ...mais le sérieux de la situation m'y oblige. »

Jugeant l'entrée en matière suffisante, le commandant s'accorda une pose le temps de s'assoir. Il put en profiter pour observer que seul Goran, étonnement décontracté, s'autorisa à l'imiter.
Il m'énerve déjà, celui-là.....

« Comme vous devez le savoir, puisque vous me l'avez confié ces dernier jours, nous avons tous eu un sommeil agité ces derniers temps.....des espèce de......visions. Je vois régulièrement en rêve ma maison, ma famille.....mais en plus réel, en presque palpable. Pour mon fils c'est presque comme si je pouvais véritablement lui parler.......j'ai même cru ressentir ses sentiment la nuit dernière. Et avec toujours cette voix, cette.....comment dire....présence, appellons-là comme ça, qui semble me guider, me parler parfois.

Pour toi, Nick, c'est la famille qui t'a hébergée sur Yares pendant ces jours de combats urbains, et ta famille sur notre bonne vieille Terre.
Pour toi Everan, tu m'as surtout parlé de ta femme et de ta belle-famille chez qui elle habite...... »

« C'était.... »

Joreli fronça les sourcils

« Comment ça ? »

« C'était.....je ne les vois plus.......enfin beaucoup plus mal, comme de plus loin »

Le commandant, contrarié et nerveux, se leva de son siège, recommençant comme souvent ces dernier jours à tourner en rond le long des murs.

« Enfin bref......tout ça m'inquiète........ »

« Alors vous vouliez qu'on en parle tous ensemble ? Exellente idée, commandant »

Joreli se retourna vivement, fusillant du regard un Goran souriant et détendu......trop souriant.
Il n'est pas surpris par ce qu'il passe........mais dans quelle expérience on s'est embarqués nom de Dieu ? Ils veulent nous rendre fous ?

« Heu.....oui c'est exactement ça »

Il se râcla la gorge. Il ne mentait pas. Comment Goran pouvait savoir à l'avance ce qui allait se dire, du moins ce qu'il allait dire, il ne le savait pas. Mais il était sûr qu'il le pouvait. Il le pouvait !! Un frisson parcourut le commandant. Lire dans ses pensées, était-ce donc possible ?

Comme d'habitude, son desaroi lui fit chercher l'espace et c'est pas un quasi-réflexe qu'il se tourna vers la verrière pour retrouver son calme.

« Tout ceci n'a aucun sens, et..... »

« Non ! Non, commandant, là je ne suis pas d'accord »

Everan se gratta le menton, à la recherche de la bonne formulation.

« Il y a forcement......un destin, qui fait que les choses se déroulent ainsi.....On n'a pas trouvé de sens, mais il y en a un, j'en suis sûr »

Tandis que Nick restait perplexe, et peut-être aussi relativement ininteressé, Goran hocha la tête d'un air compatissant. Quasiment aussi explicite que de dire « Mais mon pauvre, je le sais depuis longtemps ». Joreli sentait ses nerfs en train de craquer quand un voyant clignotant s'alluma à l'avant, figeant le temps et les respirations.

Nick, après un temps d'hésitation, se précipita vers la cabine de bord et se mit à jouer frénétiquement avec les commandes de bord, dévorant des yeux l'une après l'autre les differentes données défilant sur l'écran tactile, survolté. Quand il se retourna enfin vers ses compagnons, figés dans l'attente du verdict, son visage n'incitait guère à l'optimisme. Et pourtant.....

« On dévie...... »

Goran poussa un soupir de soulagement, et troqua son expression habituelle contre un sourire jusqu'aux oreilles.
Joreli s'apprêtait à laisser exploser la joie, mais à en juger par l'expression de Nick la phrase n'était pas finie.

« .....sans raison »

« Comment ça sans raison ?!! Regarde sur le senseur gravitationnel.... »

Nick déglutit péniblement.

« Justement commandant......Il n'y a aucune force.....aucune force suffisante pour nous faire dévier. Juste une planète, dont on est largement hors du périmètre d'attraction significative. »


******


Plusieurs minutes avaient été necessaires, avec le concours d'un Everan plutôt enthousiaste même devant l'incompréhsensible, pour rassurer tant bien que mal un Nick blanc comme un linge et mort de peur. Et puis l'envie commune de sortir de cette conserve, ou du moins d'arriver au terme de cette mission, avait bien vite mit ce genre de préoccupations de côté pour laisser place à une grande impatience. De fait, l'étage cabines du vaisseau, sous l'impulsion des deux soldats, était en effervescence.
Joreli se tourna vers Goran.

« Vous savez ce qui est en train de se passer, non ? Vous savez aussi pourquoi, j'imagine. Et je suppose que tout ça fait partie d'un de vos brillants plans ? »

Celui-ci acquiessa en silence.

« Et j'imagine que tu n'es pas auorisé à me dire ce qui va suivre ? »

Les yeux de Goran scintillaient, perdus au loin. Un sourire discret et énigmatique pointa sur son visage.

« Que dans les grandes lignes, et en théorie.......Je découvre, comme vous. »

Le commandant soupira et regarda à nouveau dans la vitre. Il se sentait fatigué, très fatigué. La pièce centrale du vaisseau lui paraissait immense, l'espace au-dehors infini. Tout n'était plus que lassitude, et envie toute simple que cela se termine. Et pourtant il n'avait rien d'autre à faire que d'essayer de comprendre. Et il n'avait fait que cela ces derniers jours.

« Ce que je sais c'est que ces forces nous dépassent. Si vous vous êtes trompés...... »

« Cette mission échouera et le sort de l'homme n'en sera guère changé. »

« Facile à dire....... »

« La communauté scientifique est en grande majorité convaincue que cette mission est l'ultime espoir des humains, et je fais partie de cette majorité. J'y ai beaucoup réfléchi vous savez........Vous n'arriverez pas à me faire regretter d'avoir participé à tout ça. »

Se trouvant désormais juste à côté, Goran se pencha au-dessus du pupitre de commande, et haussa les sourcils, surpris, à la vue des résultats qu'il guettait discrètement depuis quelques minutes.

« Diamètre faible, très agité, chaud, pas d'eau de surface détectée.......C'est vers ça qu'on se dirige ? »

Joreli hocha la tête et désigna un point jaune à l'horizon.

« Ouais, juste ici.......enfin bon ne paniquons pas, l'athmosphère est respirable. C'est l'essentiel. »

Il en était arrivé à cette conclusion, en désespoir de cause : quoi qu'il arrive, les vivants à la sortie du crash le seraient encore pour une bonne semaine. De quoi se rassurer à moitié et conserver un peu de bonne humeur. Se rememorant ces sages paroles, le comandant y puisa la motivation pour retrouver le sourire et aller jusqu'au bar pour chercher deux verres et la bouteille de whisky.

« Tu prendras bien quelquechose ? »

Devant le geste de refus poli de Goran, Joreli haussa les épaules.

« Tant pis pour toi, je remplirai qu'un seul verre......je savais pas que les biologistes buvaient aussi peu. »

« Physio-chimiste.......Là n'est pas la question. »

Et effectivement, cette réponse éludait à merveille toute question sur le sujet.

« Tu sais, il m'est arrivé un truc marrant, hier........j'ai enfin réussi à contrôler mes rêves. Une première ».

Le militaire s'interompit quelques instant pour boire une bonne partie de son verre, cul-sec, comme il aimait le faire.

« En fait je ne crois pas que ce soit des vrais rêves.....mais plutôt des jeux de l'esprit.....une sorte de fusion, ou d'interaction »

Goran hocha la tête, les yeux légèrement plissés, le regard vers le plafond. Bref, l'attitude condescendante forçée au stylo noir.

« Et comment en êtes-vous arrivés à cette conclusion ? »

Joreli, les yeux pétillants, fit durer le silence quelques instants. Il ne m'aura pas là-dessus.

« Les enfants, très cher, les enfants. C'est avec mon gosse que j'ai pu communiquer dans mon rêve, et à chaque fois que j'ai bien vu autre chose, il y était. Everan n'a vu distinctement sa femme quel le temps où en même temps qu'elle, était de passage chez ses parent sa soeur, qui a deux petites filles. A partir du moment où elle est partie, il a vu les choses plus ternes. Nick, c'est un enfant qu'il a sauvé, et c'est grâce à ça qu'il a pu se plaquer chez cette famile pendant plusieurs jours. Et sans famille proche ni femme il n'y en a pas d'autres avec qui il soit proche. »

Nouvelle gorgée, et le commandant reprit son raisonnement tout en remplissant son verre, désormais plus assez plein à son goût.

« Arrivé là, je me suis posé la question logique suivante : pourquoi les enfants ? Pourquoi voit-on les choses à travers des regards d'enfants, et pas d'adultes ? Parce que c'est les plus influencables psychologiquement. D'où la conclusion qu'exploiter ceci revient à s'introduire dans leur esprit ou du moins y puiser des informations. »

Goran se plongea dans ses réflexions qelques instants, appuyé sur le coude et le regard fixé droit devant lui.

« Plutôt bien vu.....Très bien vu même »

Il se redressa et addressa un sourire à un Joreli en pleine jubilation.

« Un point pour vous, chef......Ceci dit, je vais devoir vous laisser, j'ai des affaires à préparer »

Le commandant aux anges le suivit du regard alors qu'il quittait la salle. J'ai réussi. J'ai réussi à en boucher un coin à un des types les plus callés de la galaxie connue !!!

Atterissage – 6 heures !

La voix de l'ordinateur de bord egrainant le décompte automatique en fonction de la distance les séparant de la planète le remit quelque peu à sa place, un peu trop peut-être.
Après tout je n'ai fait que comprendre ce que d'autres ont inventés......à part lui montrer que je peux penser, je ne lui ai rien appris.....je ne sers plus à rien sur ce vaisseau, de toute façon.....

Atterissage – 3 heures

Il y a un moment où être en proie à une humeur changeante finit par exasperer au plus haut point. Joreli en était à broyer pour la trentième fois du noir en trois heure après trente crises d'euphorie quand l'énervement le poussa, assez subitement il faut le dire, à couper court à son inactivité.
Et des activités, il n'y en avait pas des dizaines dans cet espace réduit. Ayant le choix entre rangement et rangement, Joreli finit par opter pour le rangement. D'un pas décidé, il parcouru les quelques mètres menant à sa cabine et s'attella à la dure tache consistant à faire tenir toutes ses affaires dans son sac.

«Chers compagnons, frères d'armes, membres d'équipage et j'en passe, ne croyez pas que je me permette ce discours sans raisons......»

Joreli, posé devant son café, esquissa un pâle sourire. Il n'avait encore pas vu Goran si enthousiasme, et cela relevait presque de la prouesse au vu des regards vides et de l'attitude apathique de l'équipage au compet et uni par un même someil agité et des batteries à plat. Lui du moins avait l'air en forme, et sans avoir recours à du café sur-caféïné..

Il doit mijoter quelquechose trancha dans son esprit le commandant avec une pointe de curiosité.

Goran balaya du regard l'assemblée, sourire au lèvre, s'amusant presque du suspense qu'il tâchait d'entretenir autant que possible.

«Comme vous avez dû le constater, je bricole depuis le début du voyage dans la cabine, de façon assez confidentielle je dois le reconnaître......mais ceci uniquement dans le but de préserver la primeur de la révélation pour ce soir......c'est un peu quelquechose....disons, dédié à nous tous.....enfin, voilà...»

Goran, joignant le geste à la parole, retira le bout de tissu cachant l'objet, qui fut acceuilli par un silence ébahi. Joreli fut le premier, après quelques secondes, à se lever et se rapprocher de la table.

«La vache......je te savais pas un don pareil Goran. Il est plus vrai que nature.»

«Clair.....hallucinant»

«Un putain de boulot surtout......chapeau, moi je dis»

Les trois hommes étaient désormais autour de la table, à scruter l'oeuvre d'un Goran rayonnant. Everan fut le premier à oser prendre en main le modèle miniature de leur vaisseau sur lequel leur compagnon travaillait depuis plusieurs mois.....mais il ne put le garder que quelques instants. Goran le lui reprit des mains, un sourire triomphateur sur le visage :

«Et vous n'avez pas encore tout vu....»

Après l'avoir reposé sur la table, il enclencha un petit interrupteur. Le vaisseau s'illumina dans un léger vrombissement et entra en lévitation pour atteindre une hauteur d'une vingtaine de centimètres de haut.

«J'ai pensé que ça ferait bien plus réaliste que de le laisser bêtement sur un socle.......tenez, capitaine, à vous l'honneur»

Joreli fixa le caillou que lui tendait Goran, sans comprendre.

«Mais qu'est-ce qui te prend ? T'es dingue ?»

«Lançez-le sur le vaisseau, capitaine»

Devant l'insistance de Goran, Joreli se força à prendre le caillou, sans comprendre pourquoi Goran voulait estropier son oeuvre...et le lança bien plus fort qu'il n l'eut voulu.
Dans un éclair coloré, le projectile se désintegra à quelques centimètres de la coque. Un silence quasi-religieux tomba instantanement sur la pièce.

Le capitaine mit quelques instant à articuler péniblement :

«Me dis pas.....tu n'as quand même pas reproduit.....reproduit le bouclier anti-météorites ??!»

C'était une question réthorique auquel Goran ne se fatigua pas à répondre. Les yeux de ses compagnons s'équarquillèrent au fur et à mesure que l'évidence s'imposait à eux : il avaient devant eux non pas un simple modèle réduit, mais une véritable prouesse technologique. Tout avait été reproduit à la perfection dans la fonctionnalité du vaisseau.

Une nouvelle secousse, cette fois-ci suivie de près d'un signal sonore strident, alerta les soldats. Nicky fit la grimace :

«Ca devait arriver, on en prenait de plus en plus ces derniers temps. On va même pas pouvoir fêter l'évenement......Moi je retourne dans ma cabine»

Il addressa un clin d'oeil à Goran avant de sortir de la salle en marchant aussi droit que possible, alors que les trépidations augmentaient.

«Garde ton engin bien à l'abri, que tout le monde puisse t'acclamer quand on rentrera.»

Mais cette précision était inutile, Goran, s'était déjà empressé de le ranger dans une boite en carton moltonnée. Everan s'étant lui aussi retiré dans ses quartiers, il éteignit la lumière de la pièce et rejoignit Joreli, qui s'était déjà installé dans le poste de pilotage pour profiter du spectacle. C'était en effet de cette partie, située à l'avant du vaisseau conique, et qui plus est uniquement en verre, que le champs de vision sur le vide environnant était le plus large. On pouvait presque avoir l'impression de flotter dans l'espace.

Il jeta un coup d'oeil sur l'écran de contrôle : le champs de météorite devenait de plus en plus dense. L'une d'elle s'écrasa contre le bouclier plein centre, dégageant un gerbe de poussières multicolores.
Goran se tourna vers son capitaine, lui aussi visiblement sous le charme.

«Vous aussi vous aimez ça ? Moi j'adore, depuis tout petit je vais m'accrocher aux fenêtres dès qu'on en percute.»

Joreli lui rendit un sourire connivant.

«Et tu as bien raison, Goran. Les couleurs sont sublimes je trouve......ca a quelquechose de presque magique. Je n'ai pas encore trouvé sur Terre quelquechose qui ne serait-ce que s'en approche»

Le vaisseau se trouvait maintenant dans la zone la plus dense, et sa trajectoire était devenue plus digne d'un grand huit que d'un voyage spatial. Pendant de longues heures, les deux hommes restèrent assis immobiles, profitant à s'en délecter du véritable feux d'artifice au-dehors.

«Non, non et non, Nicky. Vous tous autant que vous êtes avez le droit de ranger votre cabine, de ranger des choses dans des cartons, et de n'y mettre que ce dont vous voudriez bien vous debarasser un jour. Mais il est hors de question que ce vaisseau ou l'espace fasse office de poubelle. Alors remonte-moi ton bric à brac dans ta cabine, et vite. En plus ça gêne le passage.»

«Mais, commandant, il n'y a personne dans l'espace ici, et.....»

Le ton de Joreli se fit plus sec

«Soldat Toulak, c'est un ordre ! Execution !»

Nicky s'executa en marmonant, et avec une mauvaise volonté évidente, mais le commandant le laissa maugreer sans le reprendre. Il se détendit un peu sur son siège et regarda Nicky s'éloigner quelques instants avant de fermer les yeux. Il ne lui en voulait pas. Son équipage était constitué de bons soldats, qu'il commençait à prendre en affection. Un équipage idéal pour une mission hors norme......il ne lui en fallait pas moins. Joreli se prit à sourire en pensant à ses hommes : lui-même n'aurait pas survecu jusqu'ici sans leur personnalité un peu déjantée, mais tellement appréciable dans les moments d'isolement.

Everan est soldat depuis plus de dix ans sous ses ordres directs ou non, et l'a toujours fait rire. Bout-en-train de la caserne, au caractère joyeux et indolent, il a rapidement attiré la sympathie de ses camarades comme la méfiance de ses supérieurs, qui le taxaient de mou. Pourtant, sous sa carapace d'humour et de négligence calculée, Joreli a toujours trouvé en lui un homme capable et dévoué......et blessé aussi. Ce n'est qu'il y a quelques années, le jour où il lui a tenu compagnie dans un bar isolé loin de la caserne dont il n'a pas bougé de la journée, qu'il a réellement compris à quel point Everan avait besoin de ce caractère comme d'un long manteau, pour encaisser les chocs et masquer ses problèmes. Le commandant se mordit la lèvre : il s'était promis depuis ce jour d'essayer d'en savoir plus pour pouvoir lui servir de soutien et de confident si necessaire. Mais cette promesse était restée lettre morte.
Il esperait secretement que Nicky, qui passait de plus en plus de temps avec Everan, endosserait un jour ce rôle si lui-même n'en avait pas le courage. Mais Nicky, s'interesser à autre chose qu'aux cartes...

Joreli haussa les épaules : il ignorait presque tout de ce jeune soldat à ses débuts discret et ténébreux, si ce n'est sa passion pour la belote. Son parcours scolaire, de recrutement et de formation militaire, lui promettait un avenir brillant. Il avait bien sûr eu quelques apréhensions quand à l'intégration de cette nouvelle recrue du régiment à bord, mais elle avait réussie au-delà des esperences. Nicky Toulak est bien vite devenu plus qu'un soldat à ses yeux.

Mine de rien, on s'entend bien tous les trois, pensa Joreli, un sourire ironique au coin des lèvres. Ca se voit qu'on est du troisième régiment autoporté...

«Le meilleur !!!» ajouta Everan d'un air fanfaron. «Alors capitaine, on se remémore ses soirées de soldat ?»

Joreli fit un bon sur son siège, non seulement surpris par sa présence, mais aussi embarassé d'avoir été surpris à penser tout haut. Cachant son trouble par quelques toussotements, il prit quelques instants pour reprendre contenance avant de faire pivoter son siège vers le seuil de la pièce.

Note 5341 relative au compte-rendu de l'experience de sentimentalisation de la matière.
Professeur Svoran Crumalwe

J'étais le preier à qualifier cet espoir d'utopiste, mais sans avoir eu conscience des progrès accomplis par les bio-philosophes depuis leur apparition.
Dire que nous sommes arrivés à maîtriser et à donner à volonté un outil si complexe et puissant, alors qu'il était même non-fondé et qu'il l'est encore. Arriver ainsi à créer ce que nous avons rêvés. Tout ceci a quelquechose d'effrayant.
Nous tous nous réjouissons de nos succès, mais il n'y en a pas un qui n'ait à chaque seconde les traits empreints de l'effort à porter la conscience de notre responsabilité et de notre effroi.

Pour la première fois l'inférieur a réussi à reproduire, à créer artificiellement son supérieur. Nous somes en quelque sorte les cobayes des sentiments que cela inspire......

Joreli jetta machinalement un regard sur le tableau de bord : le vaisseau venait de dépasser la dernière planète du système géant qu'il traversaient depuis trois jours........Et une semaine les séparaient du prochain amas significatif de planètes détécté par les radars longue portée.
Pas grand chose comparé à ce qu'on a déjà attendu pensa-t-il amèrement. Et dire que j'ai plus que ça pour me consoler.......

L'horloge sonna cinq heure au son de la bernache hupée et le commandant se retourna vers la porte, debout, les mains dans le dos : une attitude sérieuse qui paru, d'après son expression, choquer quelques peu Nick, arrivé dans la salle pile poil à l'heure et sans un mot. Contrairement à son habitude, Joreli se contenta d'entretenir le silence de plomb reignant dans la salle jusqu'à ce que Goran, puis enfin Everan, se soient eux aussi présentés.

« Je suis désolé de me comporter ainsi avec vous, qui êtes devenus plus des amis qu'autre chose....»

Tout en parlant, Joreli scrutait le visage de ses soldats, un à un.

«...mais le sérieux de la situation m'y oblige.»

Jugeant l'entrée en matière suffisante, le commandant s'accorda une pose le temps de s'assoir. Il put en profiter pour observer que seul Goran, étonnement décontracté, s'autorisa à l'imiter.
Il m'énerve déjà, celui-là.....

«Comme vous devez le savoir, puisque vous me l'avez confié ces dernier jours, nous avons tous eu un sommeil agité ces derniers temps.....des espèce de......visions. Je vois régulièrement en rêve ma maison, ma famille.....mais en plus réel, en presque palpable. Pour mon fils c'est presque comme si je pouvais véritablement lui parler.......j'ai même cru ressentir ses sentiment la nuit dernière. Et avec toujours cette voix, cette.....comment dire....présence, appellons-là comme ça, qui semble me guider, me parler parfois.

Pour toi, Nick, c'est la famille qui t'a hébergée sur Yares pendant ces jours de combats urbains, et ta famille sur notre bonne vieille Terre.
Pour toi Everan, tu m'as surtout parlé de ta femme et de ta belle-famille chez qui elle habite......»

«C'était....»

Joreli fronça les sourcils

«Comment ça ?»

«C'était.....je ne les vois plus.......enfin beaucoup plus mal, comme de plus loin»

Le commandant, contrarié et nerveux, se leva de son siège, recommençant comme souvent ces dernier jours à tourner en rond le long des murs.

«Enfin bref......tout ça m'inquiète........»

«Alors vous vouliez qu'on en parle tous ensemble ? Exellente idée, commandant»

Joreli se retourna vivement, fusillant du regard un Goran souriant et détendu......trop souriant.
Il n'est pas surpris par ce qu'il passe........mais dans quelle expérience on s'est embarqués nom de Dieu ? Ils veulent nous rendre fous ?

«Heu.....oui c'est exactement ça»

Il se râcla la gorge. Il ne mentait pas. Comment Goran pouvait savoir à l'avance ce qui allait se dire, du moins ce qu'il allait dire, il ne le savait pas. Mais il était sûr qu'il le pouvait. Il le pouvait !! Un frisson parcourut le commandant. Lire dans ses pensées, était-ce donc possible ?

Comme d'habitude, son desaroi lui fit chercher l'espace et c'est pas un quasi-réflexe qu'il se tourna vers la verrière pour retrouver son calme.

«Tout ceci n'a aucun sens, et.....»

«Non ! Non, commandant, là je ne suis pas d'accord»

Everan se gratta le menton, à la recherche de la bonne formulation.

«Il y a forcement......un destin, qui fait que les choses se déroulent ainsi.....On n'a pas trouvé de sens, mais il y en a un, j'en suis sûr»

Tandis que Nick restait perplexe, et peut-être aussi relativement ininteressé, Goran hocha la tête d'un air compatissant. Quasiment aussi explicite que de dire « Mais mon pauvre, je le sais depuis longtemps ». Joreli sentait ses nerfs en train de craquer quand un voyant clignotant s'alluma à l'avant, figeant le temps et les respirations.

Nick, après un temps d'hésitation, se précipita vers la cabine de bord et se mit à jouer frénétiquement avec les commandes de bord, dévorant des yeux l'une après l'autre les differentes données défilant sur l'écran tactile, survolté. Quand il se retourna enfin vers ses compagnons, figés dans l'attente du verdict, son visage n'incitait guère à l'optimisme. Et pourtant.....

«On dévie......»

Goran poussa un soupir de soulagement, et troqua son expression habituelle contre un sourire jusqu'aux oreilles.
Joreli s'apprêtait à laisser exploser la joie, mais à en juger par l'expression de Nick la phrase n'était pas finie.

«.....sans raison»

«Comment ça sans raison ?!! Regarde sur le senseur gravitationnel.... »

Nick déglutit péniblement.

«Justement commandant......Il n'y a aucune force.....aucune force suffisante pour nous faire dévier. Juste une planète, dont on est largement hors du périmètre d'attraction significative.»

Plusieurs minutes avaient été necessaires, avec le concours d'un Everan plutôt enthousiaste même devant l'incompréhsensible, pour rassurer tant bien que mal un Nick blanc comme un linge et mort de peur. Et puis l'envie commune de sortir de cette conserve, ou du moins d'arriver au terme de cette mission, avait bien vite mit ce genre de préoccupations de côté pour laisser place à une grande impatience. De fait, l'étage cabines du vaisseau, sous l'impulsion des deux soldats, était en effervescence.
Joreli se tourna vers Goran.

«Vous savez ce qui est en train de se passer, non ? Vous savez aussi pourquoi, j'imagine. Et je suppose que tout ça fait partie d'un de vos brillants plans ?»

Celui-ci acquiessa en silence.

«Et j'imagine que tu n'es pas auorisé à me dire ce qui va suivre ?»

Les yeux de Goran scintillaient, perdus au loin. Un sourire discret et énigmatique pointa sur son visage.

«Que dans les grandes lignes, et en théorie.......Je découvre, comme vous.»

Le commandant soupira et regarda à nouveau dans la vitre. Il se sentait fatigué, très fatigué. La pièce centrale du vaisseau lui paraissait immense, l'espace au-dehors infini. Tout n'était plus que lassitude, et envie toute simple que cela se termine. Et pourtant il n'avait rien d'autre à faire que d'essayer de comprendre. Et il n'avait fait que cela ces derniers jours.

«Ce que je sais c'est que ces forces nous dépassent. Si vous vous êtes trompés......»

«Cette mission échouera et le sort de l'homme n'en sera guère changé.»

«Facile à dire.......»

«La communauté scientifique est en grande majorité convaincue que cette mission est l'ultime espoir des humains, et je fais partie de cette majorité. J'y ai beaucoup réfléchi vous savez........Vous n'arriverez pas à me faire regretter d'avoir participé à tout ça.»

Se trouvant désormais juste à côté, Goran se pencha au-dessus du pupitre de commande, et haussa les sourcils, surpris, à la vue des résultats qu'il guettait discrètement depuis quelques minutes.

«Diamètre faible, très agité, chaud, pas d'eau de surface détectée.......C'est vers ça qu'on se dirige ?»

Joreli hocha la tête et désigna un point jaune à l'horizon.

«Ouais, juste ici.......enfin bon ne paniquons pas, l'athmosphère est respirable. C'est l'essentiel.»

Il en était arrivé à cette conclusion, en désespoir de cause : quoi qu'il arrive, les vivants à la sortie du crash le seraient encore pour une bonne semaine. De quoi se rassurer à moitié et conserver un peu de bonne humeur. Se rememorant ces sages paroles, le comandant y puisa la motivation pour retrouver le sourire et aller jusqu'au bar pour chercher deux verres et la bouteille de whisky.

«Tu prendras bien quelquechose ?»

Devant le geste de refus poli de Goran, Joreli haussa les épaules.

«Tant pis pour toi, je remplirai qu'un seul verre......je savais pas que les biologistes buvaient aussi peu.»

«Physio-chimiste.......Là n'est pas la question.»

Et effectivement, cette réponse éludait à merveille toute question sur le sujet.

«Tu sais, il m'est arrivé un truc marrant, hier........j'ai enfin réussi à contrôler mes rêves. Une première».

Le militaire s'interompit quelques instant pour boire une bonne partie de son verre, cul-sec, comme il aimait le faire.

«En fait je ne crois pas que ce soit des vrais rêves.....mais plutôt des jeux de l'esprit.....une sorte de fusion, ou d'interaction»

Goran hocha la tête, les yeux légèrement plissés, le regard vers le plafond. Bref, l'attitude condescendante forçée au stylo noir.

«Et comment en êtes-vous arrivés à cette conclusion ?»

Joreli, les yeux pétillants, fit durer le silence quelques instants. Il ne m'aura pas là-dessus.

«Les enfants, très cher, les enfants. C'est avec mon gosse que j'ai pu communiquer dans mon rêve, et à chaque fois que j'ai bien vu autre chose, il y était. Everan n'a vu distinctement sa femme quel le temps où en même temps qu'elle, était de passage chez ses parent sa soeur, qui a deux petites filles. A partir du moment où elle est partie, il a vu les choses plus ternes. Nick, c'est un enfant qu'il a sauvé, et c'est grâce à ça qu'il a pu se plaquer chez cette famile pendant plusieurs jours. Et sans famille proche ni femme il n'y en a pas d'autres avec qui il soit proche.»

Nouvelle gorgée, et le commandant reprit son raisonnement tout en remplissant son verre, désormais plus assez plein à son goût.

«Arrivé là, je me suis posé la question logique suivante : pourquoi les enfants ? Pourquoi voit-on les choses à travers des regards d'enfants, et pas d'adultes ? Parce que c'est les plus influencables psychologiquement. D'où la conclusion qu'exploiter ceci revient à s'introduire dans leur esprit ou du moins y puiser des informations.»

Goran se plongea dans ses réflexions qelques instants, appuyé sur le coude et le regard fixé droit devant lui.

«Plutôt bien vu.....Très bien vu même»

Il se redressa et addressa un sourire à un Joreli en pleine jubilation.

«Un point pour vous, chef......Ceci dit, je vais devoir vous laisser, j'ai des affaires à préparer»

Le commandant aux anges le suivit du regard alors qu'il quittait la salle. J'ai réussi. J'ai réussi à en boucher un coin à un des types les plus callés de la galaxie connue !!!

Atterissage – 6 heures !

La voix de l'ordinateur de bord egrainant le décompte automatique en fonction de la distance les séparant de la planète le remit quelque peu à sa place, un peu trop peut-être.
Après tout je n'ai fait que comprendre ce que d'autres ont inventés......à part lui montrer que je peux penser, je ne lui ai rien appris.....je ne sers plus à rien sur ce vaisseau, de toute façon.....

Atterissage – 3 heures

Il y a un moment où être en proie à une humeur changeante finit par exasperer au plus haut point. Joreli en était à broyer pour la trentième fois du noir en trois heure après trente crises d'euphorie quand l'énervement le poussa, assez subitement il faut le dire, à couper court à son inactivité.
Et des activités, il n'y en avait pas des dizaines dans cet espace réduit. Ayant le choix entre rangement et rangement, Joreli finit par opter pour le rangement. D'un pas décidé, il parcouru les quelques mètres menant à sa cabine et s'attella à la dure tache consistant à faire tenir toutes ses affaires dans son sac.

Note 10967 B33
Archives militaires de Washington DC 2
Service militaro-scientifique
Section "Arkania"
Niveau d'identification 5.8
Compte-rendu de la réunion du 12 novembre 2405

[Extrait]
Le fait qu'un scientifique du projet soit introduit à bord fut relativement épineux, étant entendu que si cela devait être le cas, ledit scientifique devrait se faire passer pour un militaire, afin de préserver le secret absolu même pour l'équipage, qui ne devra en aucun cas se douter de la présence même de l'outil de puissance qu'ils embarqueront avec eux.

D'un côté les risques en cas de découverte du pot-au-rose qu'il n'était pas évident à cacher, pouvant déboucher sur un mécontentement voir une mutinerie. Les mensonges de supérieurs sont un outil dévastateur de déstabilisation.
D'un autre côté, la peur de laisser "leur" création dans les mains d'autrui sans surveillance.

Les scientifiques ont finalement décidés d'envoyer l'un des leurs, en l'occurence Svoran Crumalwe, le seul volontaire. Il se fit ainsi enseigner les rudiments de la vie militaire, concocter un CV bidon d'ingénieur raté, et prit tout naturellement comme faux prénom Goran, pseudonyme sous lequel il avait fait ses premières publications scinentifiques.


Atterissage – 20 minutes

Le vaisseau était nettoyé, vidé. Le sac réglementaire bouclé, les hommes en tenue et au garde à vous dans la pièce principale, la seule assez grande pour ce genre d'occasions. Le commandant passa en revue ses trois hommes, leur accordant à chacun une accolade amicale.

Tous avaient joués le jeu, et leur réflexe militaires étaient encore bien présents : l'uniforme était impeccable, la tenue irreprochable. Même Goran, qui avec ses années de laboratoires n'avait guère dû pratiquer ce genre d'exercices, faisait plus militaire que nature. Joreli se dépécha de passer devant lui, les yeux baissés. Le voir ainsi c'était se souvenir tous ces mois à le faire passer pour un soldat, en mentant à ses hommes, et ça, même pour quelqu'un d'aussi sympathique que lui, il n'en avait jamais voulu, et cela l'avait toujours dégoûté.

Tout ce que voulait retenir celui qui s'apprêtait à prendre sa retraite lors de cette cérémonie était l'image de ses soldats dévoués, de cette dernière fresque qui résumait une si grande partie de sa vie. Joreli était désormais en face de ses hommes. Pour la dernière fois, peut-être, mais pour la dernière fois comme supérieur, ça il en était sûr. Bien que réfléchie, cette décision lui nouait quelque peu la gorge et il eut peur un instant de ne pouvoir prononçer quoi que ce soit.

«Soldats, nous nous écraseront bientôt sur notre objectif. Et avec cela arrive le terme de notre mission......définitivement.»

L'air effaré de Goran ne le perturba pas un instant. Maintenant qu'il avait commençé il savait qu'il irait jusqu'au bout.

«Comme vous le savez, nous sommes censés reçevoir d'autres instruction.....mais lesquelles ? Où ? Comment ? Alors que nous sommes enfermés ici depuis presque un an.
Pendant cette année, j'ai appris à mieux vous connaître. J'ai appris à vous apprecier humainement et non pas une mitrailleuse à la main. J'ai appris à vous aimer commes hommes, d'égal à égal. J'ai appris à rêver que nous ayons la possibilité d'avançer la main dans la main, comme n'importe quelle bande de copains, à écumer les bars, se trouver des filles, réveiller un quartier à cinq heure du matin, discuter de tout et de rien entre individus libres.

J'ai appris à esperer qu'un jour nous puissions retrouver cette union, sans qu'elle soit dictée par des rapports hiérarchique, et une convenance d'Etat. Et si je ne peux qu'esperer, j'ai décider de rendre cet espoir réalisable. Le reste......»

Joreli prit une inspiration pour se donner du courage. Il était conscient de ce qu'il allait dire et faire. Il était conscient qu'il outrepassait ses droits, la hiérarchie et le code militaire. Il s'apprêtait à rentrer dans le rang des parias et traitres à la nation. A saboter peut-être un boulot énorme, à condamner l'humainté, qui sait. Mais il devait le faire, il le savait. Pour un idéal. Personne ne le comprendra. Qu'importe......

«Soldats, j'ai estimé que notre République vous en a assez demandé. Presentement, je dissous l'armée, et vous délivre du même coup de vos obligations de soldats. Vos effets personnel vous sont laissés à titre gracieux. Il n'y a plus de soldats, plus de commandement, plus d'armée, plus d'Etat, plus de loi.
Cela a été un honneur pour moi de vous avoir eu sous mon commandement. Je vous remercie.»

Joignant le geste à la parole, il salua ses hommes impecablement. Le claquement des bottes réonna quelques secondes dans la pièce. L'inimaginable venait de se produire, et personne mis à part Joreli ne semblait prêt à accepter l'information.

«Qu...quoi ?! Comment ça tu les délivre de leurs obligations ?! Et la mission ?»

Goran bouillait trop pour contenir sa colère. Et c'était tout naturellement qu'il était passé au tutoiement.

«Ca fait.....ça fait des mois, des années qu'on bosse là-dessus.....à faire de la recherche, jour et nuit. On arrive à quelque chose, on accroche un dernier espoir, et toi tu.....tu veux le foutre en l'air comme ça ?! Tu n'as pas le droit !!»

Joreli laissa échapper un rire cynique et moqueur.

«Tu n'as qu'à prévenir mon supérieur, je serai suspendu à mon retour.......»

Goran s'appretaît à répliquer, mais Joreli l'en dissuada d'un regard assassin.

«Professeur, que les choses soient claires : c'est moi qui comme supérieur a toujours eu le droit de décision sur ce vaisseau. Et j'ai décidé. Que ca vous plaise ou non, je n'ai pas à m'en soucier.»

Les regards du scientifique se faisaient plus fuyant, et il sut qu'il avait gagné cette discussion. Sans quitter son regard, il radoucit quelque peu sa voix et le prit par l'épaule.

«Je devais le faire......je suis désolé pour vous»

Goran se dégagea sans répondre, la mine défaite, et s'en alla s'asseoir sur le siège de pilote de la cabine de pilotage.
Le commandant le laissa faire. Inutile de lui préciser que c'était l'endroit le plus sûr pour se faire tuer au moment de l'impact, il le savait très bien. Lui jettant un dernier regard lourd de regrets, Joreli se dirigea lentement vers la sortie. Tous ses gestes lui paraissaient soudain une prouesse quasi-insurmontable.

«Pourquoi ? »

Les deux soldats, encore plantés dans la salle, venaient juste d'émerger, de refaire surface par-dessus la vague qui les avaient engloutis. Avec le recul, ce choc avait été une véritable bénédiction pour Joreli : sans cela, ils auraient pu suivre ses échanges avec Goran, ce qui n'aurait rien arrangé. Ainsi il n'eut jamais à leur réveler à proprement parler son mensonge.
Joreli n'osa pas se retourner et affronter le regard de ses fidèles hommes de troupe. La détresse de ce simple pourquoi ? lui était déjà assez dure.

«Parce que......c'est comme ça»

«Ce n'est pas une raison»

«Je sais»

Sortant de la salle, il se laissa glisser contre la paroi du corridor. Le sol, les murs commençaient à vibrer. La navette entrait dans l'athmosphère.

Atterissage – 3 minutes

Everan et Nick étaient restés sur place, se callant dans bien que mal contre un rebord de la pièce. Joreli sentait son coeur battre de plus en plus fort. Ils étaient tous les quatres, comme des animaux à l'abbatoir, juste à attendre de savoir si ils sont morts. Et à se protéger du choc, en s'arc-boutant là où ils pouvaient.......dérisoirement.

Comparé aux millions de Newtons déplaçés par le choc, ils n'étaient rien, seul pouvait désormais les sauver un miracle ou la solidité de la coque.L'ex-comandant déglutit difficilement, repensant aux boutades de la cantine des sous-off' sur les « navettes-cartons » du service du fret. Jamais il n'avait autant souhaité qu'elles ne soient qu'une moquerie infondée de l'armée envers vulgaires dockers.

Atterissage – 1 minute

Joreli ferma lentement les yeux et se boucha les oreilles. Il était arrivé au bout. A la fin de leur voyage. Enfin.
Le choc effroyable ne dura dans son esprit qu'une fraction de seconde et il eut à peine le temps de se sentir soufflé par la force titanesque dégagée par l'impact.

Lorsqu'il rouvrit les paupières, une lumière vive aggressa sa rétine, le contraignant dans un premier temps à garder les yeux plissés.Il avait déjà constaté l'effet que pouvait avoir le retour à une exposition lumineuse naturelle après plusieurs semaines de voyage, mais il ne l'avait jamais testé avec une telle durée. Les premières secondes, le phénomène aurait pu rivaliser avec de nombreuses substances hallucinogènes : il se formait un peu partout dans son champs de vision des taches aux couleur variéées et aux formes abberentes. Cependant l'organisme humain est bien fait : passé cet étape transitoire d'une petite minute, sa vision redevint des plus normales.

La première chose que Joreli cru constater était un spectaculaire effet de gravité le faisant reposer sur un mur du couloir......la première qu'il constata en bougeant un peu fut qu'il était en réalité à plusieurs mètres du sol, à bord d'une navette plantée de côté dans le sable à 45 degrès.....trop tard pour se rattraper. Il dévala quelques mètres avant de se retrouver dans le vide puis les fesses dans le sable.

Profitant de ce qu'il ne pouvait plus tomber plus bas, Joreli prit quelques minutes pour retrouver totalement ses esprits et faire un peu tomber l'exitation et la tension. Il inspira à fond plusieurs fois de suite, s'emplissant les poumons d'air, de cet air si pur et surtout, enfin en mouvement. N'importe qui ayant respiré de l'athmosphère en bouteille peut comprendre à quel point la légère brise qui vous caresse le visage, le vent qui souffle, peuvent faire du bien à la descente d'un voyage au long cours.
Il passa sa main derrière sa tête et grimaça en y voyant des traces rouges : il saignait légèrement.
J'ai dû me cogner quelquepart.......Pfffff, j'en ai encore pour un petit bout de temps avec ce mal de crâne, sans compter la bosse.

Un grincement métallique suivi d'un bruit étouffé : Joreli se retourna. La navette venait de basculer totalement sur le flanc. Le choc avait fait des dégats conséquents, mais sans pour autant pulvériser le vaisseau, qui avait merveilleusement bien tenu le coup. Il esquissa un sourire : ces navettes étaient finalement largement assez résistantes. Mieux : en faisant le tour du vaisseau, Joreli réalisa bien vite que la structure était quasi-intacte., même si il était sérieusement déformé à l'avant et éventré sur un côté. Bien évidemment, les verrières de la « grande » salle et de la cabine n'étaient qu'un lointain souvenir.

Puis enfin il trouva ce qu'il cherchait : un morceau de métal allongé provenant de l'interieur de la navette. Après quelques essais infructeux , il réussit à accrocher une des sangles de son sac, resté coinçé à l'endroit d'où il avait chuté et situé trop en hauteur pour y arriver juste avec ses bras, et à le récuperer et tirant d'un coup sec. Il en sortit quelques maillots de corps, dans lesquels il emballa ses mains. Ainsi équipé, il put enfin s'aventurer sur la surface de la coque encore chauffée à vif, à la recherche de ses compagnons.....

Le soleil décroissait lentement à l'horizon, et avec lui la chaleur éprouvante. Aucun des quatres hommes ne savait par quel miracle ils étaient encore en vie. Il s'étaient abreuvés, et avaient sorti de la carcasse le reste de leurs affaires éparpillées mais surtout les stocks d'eau et de nourriture. Et ils restèrent là, assis, à regarder le soleil se coucher sur les crêtes des dunes.....splendide.

Mais le froid, dans le desert, tombe bien vite une fois à l'abri du soleil. Décision fut prise de se regrouper dans le trou béant du monstre d'acier. Ils étaient ainsi à l'abri du vent, des caprices du ciels, et malgré tout en plein air. C'est ainsi qu'ils mangèrent sur les restes de leur glorieuse caravelle de l'espace, autour d'un bon petit feu . Les bouts de bois, rares dans le desert, avaient au moins cela de bien qu'ils étaient secs.

«On est tous vivants. Et même pas gravement blessés. C'est pas normal.....»

Everan fixait les flammes qui dansaient en illuminant les parois d'acier.

«....pas normal du tout. Un vrai miracle, même. C'est comme un signe, un signe qu'on doit pas abbandonner. J'ai senti la voix qui m'a secoué, qui m'a ramené à la conscience. Elle veut quelquechose....»

Nick le fixa d'un air dubitatif.

«Pas moi......et pourquoi "elle" ?»

Une étincelle amusée passa dans son regard

«T'es en manque ou quoi, pour voir des femmes partout ?»

Everan esquissa un sourire à la remarque.

«Et puis quoi encore.....non mais bon d'accord c'est pas forcement "elle", c'est peut-être "il" ou même rien du tout. Mais j'ai dit "elle" par instinct, je trouve que tout ça a un côté très féminin.......mais rigole pas, c'est vrai !»

Goran soupira.

«En attendant, on est toujours sur cette planète sans rien dessus......on fait quoi ?»

Le silence s'installa immediatement. Personne n'en avait la moindre idée. Joreli en tira la conclusion logique et haussa les épaules en callant sa tête contre la coque avec une serviette de bain.

«Pour l'instant, on dort»

Lui-même n'eut guère de mal à plonger dans le sommeil, et il se doutait bien que tous seraient dans le même cas, après une journée riche en émotion.

Mais cette fois-ci ce n'était pas comme les autres fois : il plongea tout d'abord dans le noir absolu, comme s'il ne rêvait pas mais tout en sachant qu'iol rêvait. En fait, un peu comme s'il marchait dans le noir. Et puis au loin, il vit un point bleu, qui se rapprochait. Et puis ce point bleu, en se rapprochant, devint un carré, et puis apparurent dans ce carré des mailles. Et il se tordait, pour prendre la forme d'une toile d'araignée.
Rejoinds-moi...
Ce qui était désormais une gigantesque toile d'araignée bleutée se rapprochait dangereusement. Il tenta molement de reculer, mais en vain. Elle étendait ses fils, passant à a gauche, à sa droite, derrière, l'encerclant.
Délivre-moi...
Il chercha à se débattre, en vain. Les fils l'enserraient de plus en plus près.
Libère-moi...
Il voulait crier de terreur, mais aucun son ne sortait. Et puis il les vit un peu plus loin. Les autres. Everan, Nick, Goran. Eux aussi enserrés, eux aussi gesticulants.
Rejoignez-moi !

Au réveil, la chaleur était moins pesante, et pour cause : un vent puissant soufflait, levant avec lui d'épais nuages de sables.
He ben, on a bien fait de prévoir de se mettre un peu à l'abri.
Joreli bailla et se mit difficilement en position assise. Il s'étira longuement : il n'avait pas mal dormi -en terme de position- mais se sentait malgré tout ankilosé. Il attrappa une tasse de café encore chaude posée à proximité et en sirota le contenu pour se réveiller. Cinq minutes plus tard, Everan emerga du vaisseau.

«Merci pour le café »lui dit Joreli en désignant sa tasse du doigt.
Il a l'air d'être aussi en forme que moi.

«Bien dormi ?»

Everan fit la moue.

«Pas vraiment.....j'ai plutôt cauchemardé.»

Joreli acquiessa.

«Pareil...»

Everan esquissa un sourire amusé.

«D'ailleurs, vous....heu, tu étais dedans. Et les autres aussi.»

Joreli acquiessa derechef.

«Pareil pour moi.......tu as entendu la voix ?»

Un silence pesant s'installa. Everan avait perdu toute envie d'humour, et fixait le sable des yeux, le regard las.

«Oui........tu penses à quoi ?»

«Je pense qu'on devrait régler ça au plus vite»

Everan acquiessa.

«Mais coment, c'est autre chose.....»

«Là-dessus, j'ai mon idée.....attendons que les autres soient levés»

Joreli se rallongea dans le sable.

«Si tu veux...»

Le temps lui avait rarement paru aussi long. La tempête soufflait toujours au dehors, mais étrangement cela ne l'inquiétait nullement. Sans pouvoir l'expliquer, il ne s'était jamais senti en territoire hostile sur cette planète. Il ne lui tardait qu'une seule chose : qu'Everan dévoile son projet et qu'on en finisse avec ces hallucinations avant d'en finir avec la vie tout court.

«Par ici....»

Les trois compagnons emboîtèrent le pas à Everan vers l'arrière du vasseau. Le vent était maintenant à peu près retombé, ce qui permettait, et ce n'était pas superflus, une visibilité correcte.

«Tu nous emmenes où, là ?»

Everan poursuivit quelques mètres avant de stopper.

«Commandant, vous l'êtes au moins encore pour cette porte»

Joreli s'arrêta à la suite d'Everan. Celui-ci les avaient conduit tout à l'arrière du vaisseau, par chance au niveau du sol, où se découpait une porte fermée. A côté, un détecteur d'empreinte et la mention "Officiers only ".

«La soute......on a reçu l'ordre de pas y toucher pendant le voyange.»

«Il me semble qu'on est arrivés non ?»

Joreli prit une dernière inspiration et s'avança vers la porte.

«On peut dire ça, oui...»

Il posa sa main sur la surface de verre. Le faiseau lumineux balaya sa surface dans un bruit de scanner, avant d'émettre une légère sonnerie. Un voyant passa au vert, et dans un bruit de moteur et de compresseurs, la lourde porte s'abbaissa lentement jusqu'à toucher le sol.

Libèrez-moi !!

Joreli et ses compagnons sentirent presque un choc physique tandis que la voix puissante se répercutait à l'infini dans leur cerveau. Ils restèrent immobiles, silencieux, se regardant l'un-l'autre, cherchant à droite à gauche une explication quelquonque, un haut-parleur caché, que sais-je......

«Bon, on va pas encore trainer 150 ans.....je vais voir ce qu'il y a là-dedans»

A vrai dire, tous les autres poussèrent un soupir de soulagement. Après ce qu'il venaient de vivre, s'aventurer dans une soute sombre avec Dieu sait quoi à l'intérieur..... Les pas de Nick résonnèrent jusqu'au dehors tandis qu'il parcourait le volumineux espace de rangement Et puis soudain, un bruit sour entrecoupé de grincements. Leur compagnon reapparut en poussant devant lui un chariot à roulette jusque dans le sable, dans lequel il s'immobilisa. Dessus, ce qui tenait d'un étrange sarcophage métallique.

Joreli s'approcha lentement, et passa la main le long de l'objet. Il sentit alors un léger fremissement. Comme si le métal était presque vivant.

«Qu'est-ce que c'est que ça.....»

Son coeur ne fit qu'un bond. A traver la vitre faisant office de couvercle, on pouvait voir un étrange liquide limpide emettant une lueur bleutée désormais bien connue de Joreli.

«Ca alors.....»

Les deux autres s'étaient approchés eux aussi de l'objet, l'examinant sous toutes les coutures, fascinés. Quand à Goran, il restait en retrait, contemplant de loin mais non sans émotion le travail de la moitié de sa vie.

Evreran fut le premier à reperer le bouton rouge sur une excroissance à l'extrémité de l'objet.

«Hey, regardez ça....»

Appuie.....appuie sur le bouton......fais-le, maintenant.

Joreli n'aurait pu dire ce qui avait été si puissant dans cette injonction. Toujours est-il que, sans même savoir à quoi il servait, il appuya sur le bouton.....en même temps que Nick et Everan. Ils se regardèrent tous les trois un instant, alors que le liquide commençait à tournoyer, à s'opacifier, à se mélanger.
Puis ce fut une énorme vague d'énergie qui, brisant la vitre, envahissa tout alentours. Joreli n'avait jamais rien connu de tel : il fut litteralement happé par cette sorte de fluide d'un bleu surréaliste, emmené très haut, toujurs plus haut. Il put voir Everan, et Nick, à ses côtés. Et la forme s'étendait, partout, à perte de vue, en un réseau infin....digne d'une toile d'araignée. Et elle créait sur son passage. De la surface jusqu'aux profondeurs de la terre..

Tout ceci avat défilé dans sa tête, comme si il y était.....et il y était d'une certaine façon. Impossible de trouver une jambe, une tête, un bras. Il était la toile qui s'étendait, le fluide bleu qui s'infiltrait partout. Une grande trame.....

Oui, c'est une bonne idée ça......le Grande Trame. Et bien soit, appellons ça la Grande Trame.

Toujours ces mouvements de partout, des élements qui disparaissent, d'autres qui apparaissent. Joreli parcourait mètre par mètre cette terre qui se métamorphosait sous ses yeux. Il sentait couler par lui, à travers lui, une énergie fabuleuse, ennivrante.

Mais je crois qu'il est temps de me présenter. On m'appelle parfois l'Archange, mais mon nom de coeur est Aluniel. Je vous remercie de m'avoir libéré de cet infâme boîte et de m'avoir rendu toute mon essence. J'ai besoin de vous car j'ai décidé de créer mon monde. Tout l'univers le connaitra sous ce nom : Arkania.

Ainsi c'était donc ça que les scientifiques avaient créés, le mélange qui s'est finalisé quand ils ont appuyés sur le bouton, le but de leur mission. C'était ça qui avait dévié leur vaisseau, amorti l'atterissage, c'était avec ça qu'ils devaient apprendre à communiquer en passant des heures sous cet appareil mstérieux, c'était ça qui essayait de les contacter par la pensée.
Joreli sentit un frisson parcourir son âme. Ainsi donc les humains avaient trouvés la solution ultime pour échapper à leur propre folie. Créer un dieu.

T'inquiète pas, on est là.....
Nick ?
Ouais
Et Everan
Mais vous m'entendez ?
Disons plutôt qu'on sait ce que tu penses
Et toi aussi
Essaye
C'est une sorte de thélépathie, de fusion d'âme. Assez marrant
Effectivement, je vous sens. On peut communiquer comme ça alors ?
Bien sûr. Et tu peux même te diriger où tu veux.

Joreli aperçut comme une onde en contrebas.

Je t'ai vu, Everan....
Ben tu vois !
Vous savez quoi les gars ?
Non....
Dis !
Et ben....je sens que mine de rien on va bien s'amuser ici !!
Et comment.....qui est partant pour une belote ?